Pour le cinéma argentique

Bien que la bascule de l’industrie cinématographique vers le numérique ait eu lieu, de nombreux cinéastes continuent d’emprunter des chemins de traverse.

Manifeste

La bascule numérique de l’industrie cinématographique a bien eu lieu, mais le monde d’après n’est pas celui qui était attendu. Une part significative de tournages continue de se faire en argentique, une multiplicité de lieux persiste à montrer des copies, et nombreux sont les cinéastes, particulièrement parmi les plus jeunes, qui ont un appétit pour ce support. 

Autour de nous, les créations de librairies foisonnent, le vinyle est comme ressuscité, et le tout-numérique, devenu la norme absolue, n’est plus vraiment glamour. Désormais, les films apparaissent simultanément dans les salles et sur nos écrans baladeurs. Pendant ce temps, à l’instar de la gravure ou la lithographie au siècle dernier, le film argentique qui était utilisé à grande échelle par l’industrie des images est devenu un chemin de traverse de la création, à la présence discrète mais bien réelle. 

Ce chemin de traverse, nombreux sont les acteurs attachés à le défendre et Le Navire Argo sera au cœur de plusieurs réseaux internationaux : celui des laboratoires d’artistes filmlabs.org (), celui des salles de cinéma alternatives européennes kino-climates.org () ou bien celui plus large du site filmprojection21.org () regroupant cinémathèques, festivals, salles, programmateurs, archivistes et cinéastes du monde entier qui travaillent à perpétuer la projection du support film.  

L’industrie fonctionnant par écrasement d’une technologie par une autre, plus lucrative, le risque que les connaissances et les possibilités autour de ce support finissent par être laminées, reste immense. 

Pourtant personne ne soutiendrait qu’il est illégitime de vouloir traverser l’océan à bord d’un voilier du simple fait que New-York est à quelques heures d’avion de Paris. 

Peut-être est-ce pourquoi l’image d’un navire a surgi… Notre aventure, débutée alors que le film photochimique était au sommet de sa puissance, prend désormais un tour plus singulier, mais aussi plus vital.

Nous qui avons eu la chance de pouvoir poursuivre notre chemin de cinéastes-laborantins à l’écart des tribulations de l’industrie, et d’agréger sur la durée un outil dont nous n’osions même pas rêver il y a 25 ans, nous nous sentons dépositaires d’un savoir-faire technique et artistique qui nous confère une responsabilité grandissante.  

Une histoire de passionnés ? Sans doute, mais il peut arriver que des passionnés évoluant à contre-courant aient une certaine importance, comme en témoigne le mouvement des cinémathèques, créé par quelques collectionneurs obstinés quand l’industrie du cinéma détruisait à tours de bras ces films muets qui soudainement n’étaient plus rentables. 

Avec les lambeaux de l’industrie, les gestes et acteurs de l’ombre, nous avons construit une voie de passage, modeste mais navigable, vers un devenir de ce support.  

« Nous sommes embarqués » …

C’est pourquoi, à ce moment charnière de l’histoire des images en mouvement, pour éviter que la palette offerte aux cinéastes et aux spectateurs de cinéma ne se réduise irrémédiablement, nous pensons qu’il est crucial que voie le jour Le Navire Argo.

« Continuer à créer sur ce support »

De L’Abominable au Navire Argo —
Histoire(s) de cinéma

En 1996, L’Abominable, l’atelier cinématographique partagé est fondé, dans une cave à Asnières, par quelques passionnés qui voulaient fabriquer des films hors normes et genres, à la main et à la machine, en utilisant toute la palette des procédés techniques photochimiques de développement et de tirage sur support film. 

Quinze ans plus tard, fin 2011, L’Abominable, grâce à la ville de La Courneuve, s’installe dans le lieu transitoire des anciennes cuisines centrales de la ville, sous l’école Joliot-Curie, au cœur du quartier des 4000 ouest en pleine restructuration. 

2012 à 2017 sont des années de bascule accélérée vers le numérique. L’Abominable croise l’histoire de l’industrie.

La plupart des grands laboratoires cinématographiques ferment les uns après les autres : LTC (1936 – 2011), Cinédia (1977 – 2013), Arane-Gulliver (1976 – 2014), les laboratoires Eclair (1907 – 2015).  

Du jour au lendemain, des hommes et des femmes aux savoir-faire irremplaçables sont mis au rencart, invisibilisés. Du jour au lendemain, des machines qui valaient des centaines de milliers d’euros se retrouvent à la benne. Du jour au lendemain, des milliers de projecteurs 35mm sont déboulonnés, arrachés des salles de cinéma et jetés sans égard. Du jour au lendemain, des dizaines de milliers de copies de films sont détruites irrémédiablement, sans aucun bruit. 

Pendant ces années dans les anciennes cuisines centrales de La Courneuve : 

Nous, cinéastes adhérents, salariés, bénévoles avons récupéré, soigné et remis en route un grand nombre de ces machines de cinéma. Nous avons contribué à les faire vivre autrement. Nous avons façonné le laboratoire, le lieu, l’atelier partagé. Nous avons construit une salle de projection où se croisent habitants, usagers et cinéastes.  

Grâce à ce travail lent et obstiné des dizaines de films ont vu et voient le jour à La Courneuve. Ces films voyagent parfois dans le monde entier. 

En 2020, le calendrier de démolition et réhabilitation de l’école Joliot-Curie est annoncé : en 2022, L’Abominable va devoir quitter l’atelier exceptionnel de 850 m2 mis à disposition par la ville de La Courneuve depuis bientôt 10 ans.


« Ce qui me console, c’est de savoir qu’il y a toujours quelque part dans le monde, à n’importe quelle heure, quand ça s’arrête à Tokyo ça recommence à New-York, à Moscou, à Paris, à Caracas ; il y a toujours, dis-je, un petit bruit monotone mais intransigeant dans sa monotonie, et ce bruit c’est celui d’un projecteur en train de projeter un film. Notre devoir est que ce bruit ne s’arrête jamais. »

Jean-Luc Godard


Parmi près de 400 films ()

Quelques films réalisés avec le concours de L’Abominable au fil des ans, quelques endroits où ils sont passés, quelques prix qu’ils ont obtenus…  

Nulle part avant

d’Emmanuel Falguières, Mention spéciale du Jury au Festival Les Ecrans Documentaires 2018

Link

d’Yves Pélissier, à Scratch! Projection en 1999

De un vastísimo mar

performance de Yoana Urruzola, Stefano Canapa, Josefina Rodriguez & Julien Tarride, à Montevideo, Uruguay en 2007

Défilé

de Nathalie Harran à Pellicula et basta !, rencontre des labos de Grenoble en 2000

No ouestern

des Scotcheuses, au Festival de Douarnenez 2017

Tahousse

de Mahine Rouhi & Olivier Fouchard, au Festival International de Rotterdam 2007

Istanbul

de Martine Rousset, aux Ecrans documentaires 2008

Cilaos

de Camilo Restrepo, Léopard d’argent au Festival de Locarno 2016

Amnesia

Installation de La Destination au Cinéma Nova en 2000

Objets trouvés

d’Anne-Marie Cornu dans le cadre de la manifestation Monter/Sampler au Centre Pompidou 2000

PTKHO

de Mahine Rouhi, au Festival International Media City de Windsor, Ontario, 2001

West Point

de Laurence Rebouillon, à Histoires courtes sur France 2, 2008

L’œil du cyclope

de Jen Debauche, Prix du jury au Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris 2015

Kairos

d’Elisa Ribes & Stefano Canapa au Festival International de Rotterdam 2017

Monica

d’Enrico Mandirola au Festival International de Toronto 2007

Appunti

de Jean-Baptiste Leroux au FID Marseille en 2013

Série des K

de Frédérique Devaux, Grand prix Compétition expérimental au Festival Côté Court 2004

Los Conductos

de Camilo Restrepo, Prix du meilleur premier long métrage à la Berlinale 2020

A lua platz

de Jérémy Gravayat diffusion TV La Lucarne, Arte, 2020

Borgo

de Lucie Leszez au festival PRISME#3 – Argentique du futur 2020

Mue(s)

de Frédérique Menant, Prix du jury au Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris 2015

I.

de Alexandre Larose à S8 Mostra de Cinema Periferico A Coruña, Espagne 2022

Brûle la mer

de Nathalie Nambot & Maki Berchache à Doc Fortnight, MoMA New-York 2015

Les champs brûlants

de Catherine Libert & Stefano Canapa, Prix du Jury Italiana Doc au Festival international de Turin 2010

Reste-là

de Frédéric Tachou à la Cinémathèque Française en 2011

Folia

de Victor De Las Heras & Anaïs Ibert au Festival L’Alternativa de Barcelone 2015 

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